1. Amélioration de la production et diffusion
a) Production d'antibiotique
Au début des années 1940, à l'université d'Oxford, le pharmacologiste Howard Florey et le biochimiste Ernst Chain reprennent les travaux sur la pénicilline. Ils mettent en place une culture à grande échelle d'une souche de Penicillium notatum obtenue grâce à Fleming et parviennent ainsi à en isoler une quantité très faible. Le chimiste Edward Abraham est chargé de la purifier. Pour cela, il met en œuvre une technique alors toute récente : la chromatographie sur colonne d'alumine. La chromatographie est une méthode physique de séparation de mélanges en leurs constituants; elle est basée sur les différences d’affinité des substances à l’égard de deux phases, l’une stationnaire ou fixe, l’autre mobile.
En 1940, les premiers essais in vivo montrent que la pénicilline permet de sauver des souris infectées par des streptocoques. Les essais sur les êtres humains commencent dès 1941 : les résultats sont spectaculaires, des infections auparavant potentiellement mortelles sont guéries en quelques semaines grâce à la pénicilline. Elle acquiert très vite le statut de « médicament miraculeux », mais les stocks sont quasiment inexistants en raison des grandes difficultés d'obtention. En effet, d'une part le Penicillium notatum (champignon microscopique) (figure 14) ne produit qu'une quantité faible de pénicilline et uniquement dans un milieu riche en oxygène. Cela impose d'utiliser des cultures en surface, beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre que les cultures en cuve. D'autre part, la pénicilline est très instable, en particulier aux pH acide et basique, ce qui rend son extraction et sa purification extrêmement difficile. La pureté de la pénicilline utilisée dans les premiers essais in vivo a été rétrospectivement évaluée de l'ordre de 1% !
Figure 14 : pénicillium notatum
Les premiers essais sur les êtres humains sont très encourageants et Florey essaie d'impliquer les firmes pharmaceutiques britanniques dans le développement de la production. Mais la deuxième guerre mondiale empêche la réalisation de ce projet en Grande Bretagne, c'est pourquoi les chercheurs s'expatrient aux États-Unis avec leur précieuse souche de Penicillium notatum. Ce qui arrive alors est aujourd'hui considéré comme le point de départ des biotechnologies. En effet, de multiples techniques seront mises au point pour accroître le rendement et elles sont depuis au cœur de nombreux procédés. On peut citer, entre autres, les dispositifs d'extraction et de lyophilisation à grande échelle et l'amélioration des souches productrices par mutagénèse et sélection.
Les efforts concentrés sur l'amélioration de la production ont permis de gagner plusieurs ordres de grandeur en quelques années : initialement, un millilitre de culture permettait d'obtenir 4 unités (1 unité de pénicilline correspond a 0,6 microgrammes) de pénicilline en 200 heures. À titre de comparaison, le traitement d'une angine à la pénicilline requiert en général 3 millions d'unités par jour pendant une dizaine de jours soit la production de 7 500 litres de cette culture. La première étape a consisté en un changement du milieu de culture. Son enrichissement en nutriments plus adaptés à la souche utilisée a permis de passer à 40 unités / mL de culture, soit un accroissement d'un facteur 10. Mais la culture en surface était intrinsèquement limitée et les chercheurs n'ont eu de cesse de passer à une culture en volume. Il a été rapidement clair que Penicillium notatum ne permettrait pas ce changement de technologie. En effet, l'approvisionnement en oxygène est plus faible dans une culture en volume que dans une culture en surface et le rendement en pénicilline de Penicillium notatum devient alors très faible. Après un criblage d'échantillons de moisissure en provenance de tout le globe, c'est un champignon trouvé sur un melon dans la région du laboratoire de recherche qui permettra la migration vers le procédé volumique : Penicillium chrysogenum permettra de produire 80 unités / mL de culture en volume, avec une capacité de production accrue par rapport à la variété notatum. En effet, le passage en cuves de fermentation permet un changement d'échelle. La sélection génétique d'un mutant a rapidement permis d'atteindre 250 unités / mL de culture puis 900 puis 2500 unités / mL. Aujourd'hui, les sélections successives ont abouti à des souches qui produisent plus de 60000 unités / mL de culture en 200 heures, soit plus de quinze mille fois plus que la souche de départ.
b) Consommation à l'échelle mondiale
À partir de 1942, les grandes firmes pharmaceutiques américaines (Merck, Pfizer...) sont associées au projet dans le but de permettre un changement d'échelle de la production. La pénicilline est alors considérée comme une substance stratégique par les pouvoirs publics américains et sa production devient un effort de guerre : les quantités obtenues sont prioritairement allouées aux forces armées. En 1944, Pfizer inaugure sa première usine de production de la pénicilline et les soldats alliés disposent de pénicilline le jour du débarquement en normandie. Dès 1945, la production est suffisante pour que les restrictions sur sa distribution soient levées; elle est bientôt disponible dans toutes les pharmacies du pays. Fleming, Florey et Chain recevront le prix Nobel de physiologie-médecine pour « la découverte de la pénicilline et ses effets curatifs de nombreuses maladies infectieuses » en 1945.
Il est intéressant de remarquer que la pénicilline est devenue un médicament produit en quantité industrielle alors même que sa structure chimique n'était pas encore complètement élucidée et son mode d'action totalement inconnu.